Le décodage est une des 2 principales façons d’identifier les mots écrits.
Selon les cadres théoriques auxquels on se réfère, cette procédure de décodage est aussi appelée procédure analytique ou procédure phonologique ou voie d’assemblage ou encore voie indirecte de lecture.
Décoder c’est être capable de passer de l’écrit à l’oral lorsque l’on ne reconnaît pas immédiatement les mots que l’on a sous les yeux. C’est une situation très fréquente pour le lecteur débutant qui ne reconnaît pas encore les mots écrits. C’est une situation qui arrive encore parfois au lecteur expert quand il doit lire un mot qu’il n’a encore jamais vu comme « trihexyphenidyle ».
Mécanismes cognitifs et connaissances à l’oeuvre pendant le décodage
Décoder c’est lire en s’appuyant sur des unités plus petites que le mot.
Cela va donc nécessiter :
- d’avoir conscience de l’existence de ces unités orales (phonèmes),
- d’avoir la capacité de traiter ces unités à l’écrit les unes après les autres,
- de connaître les relations, les correspondances entre les unités écrites et orales correspondantes (connaissance du code graphème-phonème),
- et d’appliquer ces correspondances pour lire (décodage).
Décoder se fait donc en plusieurs étapes :
- 1) Traitement visuel de l’unité : le lecteur va devoir être capable de faire une segmentation pertinente (ex : « bran/dit » et non « bra/ndit » pour le mot « brandit »). Dans cette étape, c’est l’attention visuelle qui est impliquée, ce petit projecteur devra donc être capable de s’étendre sur toutes les lettres de l’unité.
- 2) Faire correspondre à cette unité écrite traitée visuellement une unité orale en appliquant le code appris.
- 3) Cette unité orale (qui n’est pas le mot entier) doit être temporairement stockée dans notre mémoire verbale à court terme ; les capacités de cette mémoire chez le lecteur doit donc être suffisantes pour y parvenir.
- 4) Puis déplacement de l’attention visuelle pour lire l’unité suivante.
- 5) Assemblage des différentes unités stockées en mémoire pour que le mot entier soit lu.

L’enseignement du code
Je ne reviendrai pas ici sur les recommandations sur les méthodes de lecture car il y a suffisamment de publications à ce sujet facilement trouvables sur la toile (notamment sur le site officiel de l’Education Nationale).
Je rappelerai seulement que les méthodes phoniques systématiques c’est-à-dire celles qui font de l’enseignement du code en priorité et enseignent de façon systématique, complète et explicite toutes les correspondances graphème-phonème ont largement prouvé leur supériorité par rapport aux autres méthodes. En effet, il est à présent démontré scientifiquement qu’elles sont les + efficaces pour faire progresser les élèves en lecture, et particulièrement les élèves les + en difficulté ou ceux issus de milieux défavorisés.
IL EST DONC PRIMORDIAL D’ENSEIGNER LE CODE DE FACON COMPLETE ET EXPLICITE. Pour ce faire, il existe plusieurs façons mais certains consensus existent.
La progression au cours de l’année :
Concernant l’ordre d’introduction des correspondances graphème-phonème dans l’année de CP, il n’y a pas de progression idéale mais quelques principes logiques doivent être respectés pour construire une progression favorable aux apprentissages :
- En début d’année, on enseignera des correspondances fréquentes (que l’on trouve dans de nombreux mots) et simples (faciles à apprendre). Cette simplicité peut être visuelle (un graphème d’une lettre comme ‘r’ est + simple qu’un graphème de 3 lettres comme ‘oin’), phonologique (un phonème « long » comme [v] est + facile à détecter qu’un phonème « court » comme [b]), ou due à la transparence entre graphème et phonème (un graphème qui ne peut faire qu’un seul phonème comme ‘l’ est + facile qu’un graphème tel que la lettre ‘c’ qui peut faire [k] ou [s]).
- Il faut introduire dès le début de l’année des voyelles et des consonnes en alternance afin de pouvoir les assembler et former des syllabes qui pourront être lues afin de s’entraîner tout de suite à combiner.
- Afin d’éviter les confusions, il convient de ne pas enseigner de façon trop rapprochée des correspondances qui se ressemblent trop au niveau visuel (comme ‘b’ et ‘d’) ou phonologiques (comme [an] et [on]).
La vitesse d’introduction des correspondances
Toutes les recherches s’accordent sur le fait qu’ il faut les introduire rapidement, notamment en début d’apprentissage.
Le tempo idéal en début de CP est d’une quinzaine de correspondances apprises pendant les 9 premières semaines de l’année scolaire (c’est-à-dire jusque mi-novembre), ce qui revient à 1,5 à 2 correspondances par semaine. La simplicité des premières correspondances choisies à étudier rend possible un tel rythme.
Puis le rythme ralentit lorsque les correspondances plus complexes sont abordées.
Voici un exemple de progression sur les 9 premières semaines du CP qui respecte les principes d’ordre et de vitesse d’introduction développés ci-dessus :
- Semaine 1 : i et l
- Semaine 2 : a et r
- Semaine 3 : o et u
- Semaine 4 : s/ss et e
- Semaine 5 : v et p
- Semaine 6 : m et é
- Semaine 7 : f et au/eau
- Semaine 8 : t et ou
- Semaine 9 : n et ch
Une séance-type d’enseignement du code
- Etape 1 : Présentation de la nouvelle correspondance à apprendre. Pour cela, on peut la donner d’emblée ou la faire découvrir à partir de l’analyse de quelques mots qui la contiennent. Cette introduction se fait en début de séance et s’accompagne d’exercices de conscience phonémique dans lequels on emmène les élèves à segmenter des mots entendus pour isoler le phonème-cible.
- Etape 2 : Lecture de syllabes et de mots. Puis on combine ce nouveau graphème avec d’autres connus pour former des syllabes.
Il convient de faire lire à haute voix tous les jours et au moins 30 min/semaine, particulièrement pour les élèves les + faibles.
On n’hésitera pas à étayer ces premières lectures avec le nouveau graphème écrit de couleur différente pour être facilement repérable + un découpage en syllabes matérialisé + une lecture en écho avec l’enseignant (l’enseignant lit d’abord devant les élèves à haute voix et les élèves répètent).
- Etape 3 : Encodage de syllabes et de mots. Les élèves écrivent sans modèle en appliquant les correspondances apprises.
Pour cela, on applique les principes de l’enseignement explicite : l’enseignant commence par montrer aux élèves comment on encode en verbalisant les stratégies. Ex : « D’abord je me redis le mot dans ma tête : LA-PIN. Il y a 2 syllabes. Dans la première LA, j’entends en premier le son [l] donc j’écris le ‘l’ et je mets ensuite le ‘a’ pour faire [la]. J’ai écrit ‘la’ maintenant je continue avec la 2e syllabe … »
Comme pour la lecture à haute voix, il convient d’encoder tous les jours.
On étayera les premiers exercices d’encodage : l’élève devra compléter un mot partiellement écrit dans lequel il ne manque que le graphème-cible ou compléter un mot avec un graphème proposé parmi plusieurs. En cas de difficultés grapho-motrices, on emploiera des lettres mobiles plutôt que de faire écrire l’enfant, etc …
Les unités traitées pendant le décodage
Les syllabes
Quand on parle de décodage, on a souvent tendance à se référer aux unités les + petites : les graphèmes et les phonèmes, car ce sont ces unités que l’enfant va apprendre de façon explicite à ce moment-là. On peut penser que ce sont essentiellement les graphèmes que l’enfant qui décode va traiter l’un après l’autre. Mais ce n’est pas ce qui se passe, d’ailleurs il n’est pas du tout souhaitable que l’élève lise graphème par graphème. C’est pour cela que l’apprentissage du décodage n’est pas seulement un apprentissage du code mais aussi un apprentissage de la combinatoire c’est-à-dire la lecture par combinaison de plusieurs graphèmes ensemble.
Un exercice fondamental du décodage est donc la lecture de syllabes qui permet ensuite de traiter les mots syllabe par syllabe. La syllabe est une unité naturelle de la langue, facile à prononcer et à isoler. Petit à petit, les syllabes très fréquentes, lues très souvent, seront mémorisées et reconnues instantanément.
Mais ce n’est pas toujours facile pour le lecteur de dire la syllabe car les phonèmes quand ils sont prononcés ensemble dans une syllabe ne sont pas vraiment identiques à leur forme sonore quand ils sont isolés : il y a une légère transformation.
Une des difficultés majeures de l’apprentissage du code alphabétique est de faire correspondre à des graphèmes des phonèmes qui sont des unités difficiles à isoler pour le lecteur débutant. C’est pour cela que le travail de la conscience phonémique est important à ce moment-là et qu’un trouble de cette conscience entraîne un déficit de l’apprentissage de la lecture.
Un entraînement à la lecture directe de syllabes peut faire progresser les faibles lecteurs.
Les mots entiers
Une autre difficulté du décodage dans les mots entiers est de découper le mot en segments corrects c’est-à-dire savoir où commence et surtout où finit chaque graphème et chaque syllabe.
Le français est une langue difficile sur ce plan : il faut donc s’entraîner à reconnaître chaque graphème, à le considérer comme une unité même si il contient 2 ou 3 lettres. Pour y arriver, il est indispensable d’apprendre et même de sur-apprendre chaque graphème pour le reconnaître vite et qu’il nous « saute » aux yeux.
Le cas particulier des mots-outils
Les mots-outils sont de petits mots que l’on rencontre très fréquemment dans les textes de lecture. Le problème avec ces mots c’est qu’ils contiennent des graphèmes complexes qui seront appris bien plus tard et qui sont donc impossibles à décoder pour les débutants. Or, il est impossible de créer une phrase ou une petite histoire sans les utiliser.
Pour permettre au lecteur débutant de les lire et donc de pouvoir lire des phrases simples, il faut qu’ils les mémorise et les reconnaisse sans passer par le décodage. Cette mémorisation est possible par observation, lectures répétées, analyse de lettres constituant le mot, exercice de repérage parmi des mots proches, écriture, jeu de cartes flash …
Attention : afin de ne pas leurrer l’élève sur l’acte d’apprentissage de la lecture (apprendre à lire ce n’est pas apprendre des mots entiers), on ne fait apprendre qu’un petit nombre de mots-outils et on distingue bien les exercices spécifiques de mémorisation de ces mots de tout le travail d’apprentissage du code et d’entraînement au décodage.
Liste indicative CP :
le, la, l’, un, une, ma, ta, sa, mon, ton, son, ce ; les, des, mes, tes, ses, ces ; du, au ; quel, quelle ; je, tu, il, elle, nous, vous, ils, elles, en, y ; tout, on ; qui, que, quoi, dont ; et, car, mais, ou ; alors, puis, ensuite ; de, à, dans, sur, sous, chez, entre, avant, après, avec, sans, par, pour, comme ; où, quand, comment ; ici, près, tard, tôt,toujours, encore, bien, trop, très, si, plus, moins, ne… pas, ne… jamais, ne… plus.
La décodabilité des écrits choisis
Le taux de décodabilité d’un texte c’est le pourcentage de graphèmes que l’enfant a explicitement appris (et sait donc lire) parmi l’ensemble des graphèmes du texte à lire. Le taux de décodabilité optimal pour un texte est supérieur à 60/70%.
Il existe un site qui permet de faire très facilement et directement le calcul de part déchiffrable pour un texte donné :
https://anagraph.ens-lyon.fr/app.php/onglet1
Les textes très décodables sont les textes écrits spécialement pour les élèves débutants lecteurs. Leurs avantages sont qu’ils permettent aux élèves d’appliquer le code appris, de renforcer leur connaissance de ce code et leurs compétences de décodage et de lire en autonomie (ce qui peut favoriser un sentiment de compétence). L’inconvénient est que ces écrits, du fait de leur nature, sont souvent pauvres en terme de sens et risquent d’engendrer de la démotivation et le développement d’une lecture mécanique sans recherche de compréhension.
Les textes moins décodables sont les textes issus de la littérature de jeunesse ou écrits pour les élèves mais sans contrainte de décodabilité. Leur avantage est qu’ils sont plus riches en terme de sens mais les élèves ne pourront pas les lire en totale autonomie.
Il est donc très important d’utiliser les 2 types de textes en alternance, surtout pour les élèves en difficulté.